par une classe de 5e
à Grains de Sel, Festival du livre et de la Parole d’enfant, Aubagne
Jeudi 14 novembre 2013
Hubert Ben Kemoun nous a accueilli dans son univers avec bagout et chaleur, nous surprenant tous, adultes comme élèves, par son naturel et sa répartie.
- Je suis très content de vous rencontrer, mais méfiez-vous des auteurs ! Ce n’est pas mon métier de vous rencontrer. Mon but c’est qu’en sortant, vous ayez encore plus de questions que quand vous êtes entrés !
Il invite tous les élèves à laisser de côté leurs questionnaires…
- Est-ce que vous préférez commencer directement vos questions ou que je me présente ?
- Que vous vous présentiez !
- Vous savez comment je m’appelle, vous savez ce que ça veut dire ?
- Je crois que ça veut dire « fleur de mandarinier » ?
- C’est génial ce que tu as dit ! Ben, ça veut dire « fils » et « Kemoun », vous savez ce que c’est ?
Il leur fait sentir des épices dans un petit bocal…
Les élèves répondent :
- Du thym ?
- Des quenelles ? …
- C’est « cumin » en hébreu. Mon nom veut dire « fils du cumin ». Peut-être qu’on est là pour ça, parler de la cuisine des livres…
Il poursuit…
- J’ai 55 ans, j’habite à Nantes. J’ai commencé à écrire il y a de cela 30 ans… Grâce à ce genre de personne… Il désigne le prof de français. J’ai commencé en écrivant des pièces de théâtre pour la radio, France Inter… Des acteurs disaient mon texte. Ça m’a appris à mettre des points et des virgules, pour que les comédiens puissent dire mon texte sans avoir une crise d’asthme… Écrire pour la radio, puis pour le théâtre, m’a appris à écrire pour autre chose. Vous connaissez la télévision ?
- Ouiiii !!!!
- Les Simpsons ? Plus belle la vie ? etc… Les élèves jubilent…Je ne vous dirai pas ce que j’écris pour la télévision, ni aux enfants, ni aux adultes. Mais être auteur, ce n’est pas obligatoirement être un auteur de livres. J’ai commencé à écrire vraiment il y a 20 ans. Est-ce que vous étiez nés ?
- Noooon !
- Et votre documentaliste ?
- Ouiii !
- Vous avez perdu une occasion… Vous, vous n’étiez même pas encore un clin d’œil de votre père vers votre mère…
Il demande aux élèves ce qu’ils ont lu, et il commence à répondre à leurs questions, au hasard des doigts qui se lèvent…
JUSTE UNE ERREUR : Inès, Fanny, Mathilde, Chloé, Ambre, Olivia
Est-ce que des réalisateurs vous ont contacté pour adapter un de vos romans au cinéma ? Fanny
Ce livre, pour moi, n’est pas suffisant pour faire un film. Il faudrait augmenter des choses, faire que les personnages existent avant d’aller au casting, ou étoffer la scène de la fête foraine.
UN JOUR A TUER : Swan, Ferdinand, Lilian, Cyprien, Raphaël
Votre histoire est-elle inventée de toutes pièces ou avez-vous vécu une telle histoire étant adolescent ? Ferdinand
Je ne raconte jamais ma vie dans un livre. Tu peux lire n’importe lequel des 157 bouquins que j’ai écrit (comme ça j’ai déjà répondu à cette question…), mais tu ne sauras jamais rien de ma vie. J’ai écrit des lettres d’amour à des filles, mais elles n’ont jamais corrigé mes fautes d’orthographe comme dans le livre. Vous ne saurez rien de comme elle est belle ma femme, de mes garçons, de comment est décorée ma maison… Pour qu’il y ait une histoire, il faut qu’il y ait quelque chose qui ne marche pas. On en n’a rien à taper de leur bonheur !
Au tableau, il écrit : « Le chat dort sur le tapis ».
Voilà, c’est une phrase parfaite, avec sujet, verbe complément… Mon métier, c’est de rajouter « du chien ». Là, il commence à y avoir une histoire, parce que peut-être le chien est énorme et le chat tout petit. Peut-être qu’il y a un plan love entre les deux… C’est ce qu’on appelle la « lis tes ratures ». Et pour ceux qui ne sauraient pas, ça ne s’écrit pas comme ça ! Ce ne sont pas les ratures qu’on fait dans nos cahiers de brouillon. Je suis fan des Simpson. Est-ce qu’on aimerait ça autant si Bart ne faisait pas de bêtises ?
BLUES EN NOIR : Océane, Lou-Ann, Alex
Qu'est-ce qui vous a inspiré pour Samy, Ludo et Benjamin ? Leur histoire est-elle inspirée d'une histoire vraie ? Océane
Au lycée, pour draguer les filles, on faisait des groupes de rock’n’roll. J’ai une formation musicale. J’étais guitariste, pour faire danser les copains et les copines, pas pour faire une carrière. Peut-être que ça m’a inspiré. Blues en Noir est né d’un jeu de mots qui apparaît à la fin de l’histoire.
Il écrit au tableau :
Je néant
Vide
Rien
Je n’ai envie de rien. Dans le livre, Ben a du talent et fait une dépression quand il se rend compte que d’autres s’approprient ses chansons. Il est en face du néant, du vide et du rien Moi, adulte, je suis terrorisé quand vous, adolescents, n’avez envie de rien, que vous dites « bof ». Toutes les chansons de Blues en Noir sont de vraies chansons. J’ai écrit des musiques qui vont avec les chansons du livre, pour être sûr qu’elles puissent être chantées. J’ai essayé d’en faire un crime parfait de ce livre !
LES SIGNATURES DU HASARD : Yohann, Axel, Argaël, Lucie, Shania
Pourquoi le narrateur change-t-il à chaque chapitre ? Axel
Ça donne un rythme. Imaginons que l’on écrive la scène qui se passe, pendant le salon du livre dans ce bungalow. La scène suivante, sur le Vieux-Port à Marseille. Puis une dans l’aéroport de Roissy près de Paris. Tu sais que les personnages, à un moment donné, vont se retrouver. C’est important pour un auteur de se poser des questions de « où j’installe la caméra ». Imaginons que ce soit Lucie qui raconte. Elle a derrière elle son prof de français… Si c’est Mathilde qui raconte, elle va parler de ce qu’elle voit par la fenêtre… Si c’est Benoît qui raconte, il va peut-être dire qu’il pense à sa liste de courses. Et si c’est moi qui raconte, je vais vous parler de mon portable qui a sonné dans ma poche quand vous êtes rentrés, de ma peur de ne pas vous intéresser… Tout dépend de qui raconte.
JUSTE UNE ERREUR : Inès, Fanny, Mathilde, Chloé, Ambre, Olivia
Pourquoi Mélanie et Mélitine ont voulu se suicider à cause du casting ?
Il y en a une qui a une trop grosse pression de la part de sa mère. Vous avez vu ces mères qui accompagnent leurs petites filles de 6 ans à des concours de mini-miss ? Moi, ça me terrorise. La seule fille qui est saine dans cette histoire, c’est Mélitine. Je voulais raconter comment en face du vide ou du rien, on peut réagir. Pour moi, c’est l’horreur absolue quelqu’un qui se suicide. Encore plus quand c’est un ado. Moi, ma vie se termine, mais toi, tu as encore la vie devant toi ! Je pense qu’elles ont une trop grosse pression sur elles.
LES SIGNATURES DU HASARD : Yohann, Axel, Argaël, Lucie, Shania
Pourquoi avez-vous choisi comme titre « Les signatures du hasard ? Argaël
Est-ce que tu aurais eu une autre idée de titre, mon lapin ? Qu’est-ce qui te fait rire, que je t’appelle mon lapin ? Mais un jour, plus personne ne vous appellera comme ça, alors croyez-moi, il faut en profiter au maximum ! Qui a choisi ton prénom ? Tes parents ? Quand ta maman était enceinte, elle a choisi ce prénom avec ton papa, et quand ils ont vu le beau bébé qui est arrivé, ils ont décidé de l’appeler Argaël. Quand j’ai écrit ce livre, j’ai eu plusieurs idées de titres. C’est toujours moi qui choisit le titre d’un livre, pas l’éditeur. Le hasard est tellement important dans ce livre que c’est lui qui signe la vie de mon personnage.
FOOT D'AMOUR : Amalia, Léa, Marie, Juliette, Cécile, Emma
Pourquoi avez-vous choisi de faire raconter le début de l'histoire par le garçon qui est évanoui ? Pourquoi lui avoir fait ressentir de la honte dans son hallucination ? Marie
Tout le stade est en train de se moquer de lui… Il est goal…
- Comme moi ! s’exclame un des élèves.
Tu as vu comment les livres, ça te donner envie de parler de toi ? Pendant le match, comme il n’a pas grand-chose à faire, il remarque les filles, il hésite comme un gardien de but au moment du penalty : est-ce que je plonge à droite ou à gauche ? Il hésite et une fille en chasse une autre Il est incapable de décider. J’ai tendance à penser que quand tout un stade commence à se foutre de lui et lui dire « on t’aime Sylvain », ça fait plaisir, mais ça fout un peu la honte. Imagine si tout le monde tout à coup se met à dire « On t’aime, Marie ! » Peut-être qu’il est là dans la classe, votre futur chéri d’amour. Et vous, les garçons, peut-être qu’elle est actuellement en CP !
JUSTE UNE ERREUR : Inès, Fanny, Mathilde, Chloé, Ambre, Olivia
Pourquoi avoir choisi comme héroïnes deux amies à la personnalité si différente ? Ambre
Parce que toi, tu n’es amie qu’avec des gens comme toi ? Moi, certains de mes amis n’aiment pas du tout les mêmes choses que moi, ils ne mangent pas la même choses… et je les aime précisément car ils sont différents de moi. Si elles étaient semblables, Mélitine serait heureuse d’être prise pour la publicité. L’une peut aider l’autre, car elles ne pensent pas la même chose. Les gens qui connaissent d’autres choses que moi m’enrichissent, ceux qui viennent d’ailleurs, ceux qui n’ont pas la même couleur de peau, ceux qui n’ont pas la même religion… Déjà, je ne m’aime pas beaucoup, mais si je devais avoir des amis comme moi !… Ma chérie d’amour, on n’est pas toujours d’accord, on s’engueule grave, mais pourtant on s’aime.
Nous avons compris d'après votre roman, que la recherche de la célébrité à tout prix peut briser une amitié ou pousser à des actes extrêmes... Est-ce bien là le message que vous avez voulu faire passer ? Pensez-vous que l'on accorde trop d'importance à la beauté et à la célébrité ? Inès
Je pense que vous vivez dans un monde plus difficile que quand j’étais en 5e. Que vous vous faites avoir. On vous fait croire qu’en 5 semaines de Star Ac’, vous pouvez être une célébrité. Et moi, je vais vous dire que pour écrire ce livre, j’ai mis plusieurs mois. Avant que tes profs t’emmènent ici, est-ce que tu me connaissais ? Non. Pourtant, quand tu étais à l’école, est-ce que tu as lu Terriblement vert ?
- Ouiiii ! Dans une réponse quasi générale…
Et vous voyez, vous ne vous êtes pas souvenu de qui l’avait écrit. J’en ai vendu 270 000 exemplaires. Et pourtant, on n’est pas connu quand on est auteur. Donnez-moi un nom de quelqu’un de super célèbre et vivant que tout le monde connaît ici, adultes y compris…
- Madonna !
- Rihanna !
- Britney Spears !
- JK Rowlings !
Tout le monde connaît ?
- Heu…
Vous connaissez plus Harry Potter… Pourtant JK Rowlings est l’un des auteurs à avoir vendu le plus de livres dans le monde. On n’est pas célèbre quand on est auteur. Méfiez-vous de la célébrité.
BLUES EN NOIR : Océane, Lou-Ann, Alex
Qu'est-ce qui vous a inspiré pour Samy, Ludo et Benjamin ? Océane
Aucun prénom n’est pris au hasard. Il y a des prénoms que j’adore et d’autres que je déteste. Je fais des clins d’œil à des amis dans mes livres, ou à des gens que je déteste. Je suis devenu auteur pour commander ! Je tue qui je veux, je fais saigner qui je veux. Si vous saviez toutes les filles que j’embrasse, comme je cours vite, dans mes livres… Si vous savez écrire plus tard, c’est vous qui commandez. Si vous ne savez pas écrire, vous aller vous faire avoir grave… Lui (en montrant le prof), on le paie pour vous apprendre à avoir du pouvoir. Plus vous savez écrire, plus vous avez du pouvoir. Écrire, ce n’est pas forcément écrire un livre. Ça peut être écrire une lettre pour demander un taf plus tard. Si vous ne savez pas écrire, vous pouvez toujours attendre à côté du téléphone… On peut écrire pour faire une déclaration d’amour… Si vous croyez que vous allez vous en sortir avec un SMS mal tapé ! Dans le mot « auteur », il y a « autorité ».
UN JOUR A TUER : Swan, Ferdinand, Lilian, Cyprien, Raphaël
Pourquoi les histoires d'amour finissent souvent mal dans vos romans, comme dans « Un jour à tuer » ? Lilian
Mais si c’est positif tout de suite ce n’est pas intéressant pour le lecteur. Pour qu’il y ait une histoire, il faut qu’il y ait un problème. Dans la vie, je veux que les trains arrivent à l’heure. Dans un livre, je veux au moins qu’ils déraillent ou qu’ils y aient une panne.
Pour toi, quelles sont les couleurs pour un livre policier ? Pourquoi ?
- Bleu comme la couleur de l’uniforme
- Rouge, comme le sang
- Gris, comme les nœuds que ça nous fait dans la tête
Et un livre d’aventures ?
- Vert comme la jungle
- Jaune pour les trésors.
Et d’amour
- Rose, pour les p’tits cœurs
- Rouge pour le rouge à lèvres.
J’aime qu’un livre ait plusieurs couleurs…
FOOT D'AMOUR : Amalia, Léa, Marie, Juliette, Cécile, Emma
À la fin du livre, on croit qu'il va y avoir une suite... Pourquoi votre histoire se termine comme ça ? Cécile
Car ce garçon sera tout le temps en train d’hésiter. Incapable de choisir. « Qui a une femme les a toutes, qui en a plusieurs n’en a aucune » dit un proverbe. Il ne peut pas y avoir une fin pour moi.
LES SIGNATURES DU HASARD : Yohann, Axel, Argaël, Lucie, Shania
Je me demande ce qui se passe après la fin de l'histoire : Cybèle et Annabelle sont-elles devenues amies ? Lucie
Je ne crois pas. Mais ce n’est pas mon problème… Je ne peux pas être ami avec mes lecteurs ou avec mes enfants. Ce n’est pas que ne les aime pas. La différence d’âge fait qu’il pourrait y avoir une sympathie, mais pas une amitié. Je sais toujours la fin quand je commence à écrire un livre. Je ne suis pas capable d’écrire un livre quand je n’ai pas décidé la fin. Ceci n’engage que moi. Quand j’écris Un jour à tuer, je sais dès le départ que personne ne mourra. Pour Un jour à tuer, j’avais ces scènes au cinéma du début et de la fin. Pour Blues en noir, c’est parti de ce jeu de mot qu’on découvre à la fin. Quand tu es l’auteur, tu fabriques la fin, tu sais où tu vas arriver….
Une heure plus tard, nous sommes tous ressortis de cette rencontre un grand sourire aux lèvres…